mardi 12 mars 2013

Des bulles plutôt que de la mousse...

En ces premiers jours de mars, alors que le Trail des Poilus frappe à notre porte et que son doux parfum se rappelle comme chaque année à nous, d'autres sirènes se mettent à chanter leur air enivrant. Les paroles sont identiques mais la mélodie est bien nouvelle : la montagne remplacera les collines, la forêt (la vraie) remplacera les bois, les vignes remplaceront les pâtures...


Bienvenue en ce dimanche matin dans la pittoresque commune d'Ecueil, au pied de la Montagne de Reims. Des coteaux, des vignes à perte de vue. Une coopérative vinicole en guise de QG, le dépaysement est total et tellement agréable. Pas besoin de faire de longs périples pour se sentir déjà un peu ailleurs. Au moment de notre arrivée peu de concurrents déjà présents mais déjà des dizaines de bénévoles s'activent sur tous les fronts. On se doute déjà que l'on va être choyé !


On prend un café, on se met en tenue pour faire un tour du village au petit trot. Les lieux respirent la quiétude. Pourtant d'ici seulement quelques dizaines de minutes, l'environnement sera quelque peu chahuté... C'est peu de le dire !

9h15. Justement. Tous les coureurs sont priés de se réunir devant les quais de déchargement pour un échauffement musical en commun. Après une première chorégraphie plutôt en phase avec ce qui nous attend (montées de genoux, talons-fesses,etc.) la suite est exactement ce que nous redoutions (ou attendions, c'est selon) : l'inévitable "Gangnam Style" ! Les GO plus survoltés que jamais se lancent dans la chorégraphie complète. Un flashmob de plusieurs centaines de trailers multicolores entrain de se démembrer, l'image doit vraiment valoir le coup ! Il est vrai que les départs se font en général plus facilement au son de Era et autres musique de péplum, mais même si le résultat est, cette fois-ci, complètement différent, il n'en est pas forcement moins agréable.


Désacraliser, ne pas se prendre trop au sérieux, cela me va bien finalement.



Une fois ce grand n'importe quoi terminé, à peine le temps de se placer que le départ est donné. Quelques hectomètres à travers le village et nous attaquons déjà les premières montées. Les chemins sont suffisamment larges pour que les 800 paires de jambes ne s'entremêlent pas trop. Sur ces coteaux j'entame, quant à moi, mon marathon photographique : je trottine, m'arrête, prend une photo ou deux, repars... stoppe à nouveau.  J'ai pourtant l'impression de doubler des dizaines et des dizaines de coureurs, ce n'est malheureusement qu'une illusion. Je fais en réalité constamment le yo-yo avec les mêmes coureurs. Mon frère doit, quant à lui, être déjà bien loin...


Les premières grosses pentes étirent un peu plus la cohorte. Les adeptes habituels de terrain plus roulants y sont immédiatement démasqués : complètement arrêtés dès que le sol se dérobe. Dans ces moments là, on a vraiment la sensation de voler... ça ne durera pas. 
Après ces quelques kilomètres de vignobles, il est grand temps d'attaquer les choses vraiment sérieuses ! Pour commencer, une longue et large montée qui nous amène à la bifurcation. A gauche pour les plus fous, tout droit pour probablement les plus perspicaces...

Le moins que l'on puisse dire c'est que le nombre de compagnons de jeux a sérieusement fondu. En guise de bienvenue, une interminable ligne droite dans un bourbier digne de chez nous. J'en profite pour manger un petit quelque chose, mais tous les appuis étant fuyants, impossible de me dépêtrer de l'emballage ! A cet instant, je m'obstine encore à tenter d'éviter les plus grosses flaques... si seulement j'avais su.


S'en suit une descente brève mais très pentue. Nous replongeons ainsi au milieu des vignes pour un petit kilomètre. Je n'ai jamais vu un tel terrain : une terre glaise qui reste bien accrochée aux pieds. On se retrouve donc rapidement avec deux énormes pneus slicks au bout de chaque jambe. Les virages serrés se passent tout en travers, les ré accélérations se font tout en douceur sous peine de surplace. Que le parcours d'origine est était raccourci de 2 km ne sera finalement peut-être pas un mal.


Nouvelle grimpette afin de s'immerger pour de bon dans cette fameuse Montagne. C'est ici que le plaisir commence vraiment. De superbes singles slalomant à travers les arbres, un terrain sans trop de boue. En file-indienne, on a vraiment l'impression de ne pas trainer. Pas de montre, pas de GPS, je ne sais pas où je suis ni depuis combien de temps nous sommes partis, j'ai simplement envie que cette trace ne se finisse pas. Au pire, qu'elle nous porte vers quelques unes de ses consoeurs toutes aussi jolies. Régulièrement nous croisons d'autres sentes appétissantes. Les unes après les autres elles m'aguichent mais je ne cède pas, je reste fidèle à celles qui nous portent.

Afin d'éviter de tout de même de sombrer dans la monotonie, nous entrecoupons régulièrement notre progression de gymkhana et de passages bien boueux. Les cuisses, les adducteurs ne risquent pas de s'assoupirent. Les chevilles sont elles aussi à l'ouvrage et se chargent d'atténuer les nombreuses rencontres avec les racines affleurantes. Merci à ma fidèle chevillière qui a une nouvelle fois fait état de toute son efficacité.

Pendant ces kilomètres, l'altitude oscille constamment entre 225 et 275 mètres. Sans vraiment s'en rendre compte, le dénivelé commence à se cumuler. Les raidillons se multiplient, tout juste entrecoupés par quelques routes forestières plus larges et praticables ou d'improbables bourbiers dans lesquels n'existent pas la moindre échappatoire. Contraints, forcés, nous y jetons gaiement les jambes, en espérant simplement ne pas y laisser l'une ou l'autre de nos chaussures.

Nous serpentons dans cette forêt domaniale depuis déjà plusieurs kilomètres et c'est seulement à cet instant qu'elle décide de nous dévoiler ses plus beaux atours... L'Ardre en est probablement l'un de ses principaux. Ce cours d'eau accompagne désormais notre progression pour une brève première rencontre, apportant avec lui de magnifique paysages, des chemins toujours plus étroits et sinueux et de l'eau sous toutes ses formes.

De la plus apaisante (Etang de Moreuil) :   
A la plus sportive :

Avec de telles portions, pas de risque que je fasse augmenter ma moyenne... La multiplication des pauses photos me contraint de laisser la place à de nombreux concurrents précédemment dépassés. Tout est à refaire. J'essaie de gêner un minimum mais cela ne semble tout de même pas du goût de tout le monde... Ce n'est pas de ma faute si tout est joli ?! 


Après l'Ardre, nous voici à serpenter pour de longues minutes en surplomb d'un petit ruisseau (je n'en ai pas trouvé le nom). Le cadre est le chemin sont hyper agréables, même si je commence à ressentir sérieusement le manque d'entraînement, impossible de souffrir dans un tel endroit. A gauche, à droite, en haut, en bas, dans la boue, accroché aux branches... je m'éclate ! En guise d'apothéose, on finit même par traverser à la corde ce magnifique ruisseau. Quel pied !

Vient ensuite une transition roulante au cours de laquelle j'en profite pour m'alimenter et reprendre un peu de vitesse. La tête commence à tourner et les jambes à s'alourdissent... Ce n'est pas gagné. Heureusement une nouvelle portion de Montagnes Russes Reims débute. Les coureurs qui me précèdent sont un peu moins rapides, alors je m'impatiente un peu et suis finalement déçu de ne pas pouvoir profiter complètement de cette portion. Un vrai gosse...

Après cette vingtaine de kilomètres, il est temps de plonger vers le seul et unique ravitaillement, situé sur la commune de Courtagnon. Sur place, le choix est difficile : de l'eau ou de l'eau ? Après avoir demandé conseil aux personnes présentes et appelé un ami, j'opte pour la première proposition. Si en plein été, un verre d'eau bien frais fait le plus grand bien, en ce dimanche plutôt frisqué ces gorgées ne vont pas vraiment me réchauffer ! Ca pique...

Ce bref arrêt ne semble pas avoir amélioré mon état. J'ai de plus en plus froid, j'ai faim et la tête qui tourne. Même le nouveau court passage autour de l'Ardre et ses étangs ne parvient plus vraiment à me divertir. Le spectacle est pourtant toujours aussi charmant.

Afin de regagner la forêt, nous sommes contraints de gravir un joli mur que plus personne ne s'aventure à courir. La montée est pénible. Je ne me sens clairement pas bien : la tête tourne, je suis affamé, j'ai froid, très froid. Me voici face à ma première fringale en course ! Je suis contraint de stopper pour rajouter une épaisseur et manger tranquillement. Au bout de quelques instants je parviens à repartir tant bien que mal. A peine 100 mètres qu'une violente crampe me tétanise l'arrière de la cuisse gauche. Nouvel arrêt pour une séance d'étirements... Les coureurs défilent et m'encouragent, compatissants.

Je tente de repartir en trottinant, mais le genou gauche ne veut plus rien savoir. La crampe ressentie a probablement raidie d'autres muscles... Il m'est devenu impossible de courir ! Le moral est à 0, c'est la première fois qu'une envie d'abandonner me traverse l'esprit. Le constat est amer : d'un côté je me suis surestimé (pensant pouvoir couvrir 33 km après 6 mois d'arrêt), de l'autre j'ai sous-estimé cette course (pensant le terrain "relativement" roulant).

Il n'y a pas de quoi être fier mais bon, je ne sais pas où je suis, il reste environ 13 km : qu'est ce qu'on fait !

La décision est prise : je vais au bout, tant pis si le frangin doit attendre ! La douleur n'étant pas présente à la marche, j'avance le plus vite possible tout en me faisant dépasser continuellement. Je me console en me disant que de toute façon les portions que nous traversons pour le moment ne sont pas les plus "funs". Au bout de plusieurs dizaines de minutes, je parviens à nouveau à alterner marche et course entre deux douleurs.
A ce petit rythme, le village de Pourcy se profile enfin. Même si je n'avais pas été au courant que ce lieu avait été le théâtre du ravitaillement du 15 km, il était assez facile de le déduire... Malgré les consignes des organisateurs, malgré l'esprit civique qui est censé habiter chacun de nous, de nombreux gobelets jonchent les bas-côtés. Compte tenu de mon rythme de sénateur dans la longue montée du GR du pays de l'Ardre, j'en profite pour faire un peu de ménage... C'est navrant ! J'aurai au moins cette satisfaction.

Au cours de cette portion au coeur des vignobles, j'en profite pour observer les nombreux exploitants s'afférant au milieu de ce paysage manquant encore cruellement de couleur en ces derniers jours d'hiver. Les dizaines de pantins multicolores que nous sommes ne semblent pas pouvoir les perturber. Même un bonjour parvient difficilement à les détourner un instant de leurs coupes chirurgicales. 

Mais il est désormais grand temps de nous immerger pour la dernière fois dans ces forêts avant de replonger pour de bon vers notre lieu de départ. Mon chemin de croix n'est prêt de se terminer : les portions marécageuses succèdent aux portions boueuses. Pas la peine de chercher les bons appuis, ils n'existent pas. Je n'avance plus, mais je me rassure en réalisant que finalement plus personne ne me passe et que je reprends plusieurs coureurs qui semblent tout aussi "aériens" que moi. Si nous nous trouvions sur un champ de bataille, nous serions peut-être achevés (finalement avoir évité "Les Poilus" m'a peut-être sauvé la vie...). Dans ces conditions, le temps ne semble pas filer, je continue de m'alimenter pour reprendre des forces mais la sensation de faim ne passe pas... Même si la douleur au genou s'est atténué, je ne peux plus relancer : je n'ai plus aucun jus ! Alors même que le cardio est redescendu au plus bas, impossible de retourner au combat. Je me surprends même à quasiment détester cette boue qui m'éclate le reste de l'année.

C'est désormais résigné que je guette, impatient, les prochains singles qui permettront d'égayer cette fin de course. D'ailleurs, les voici enfin ! Une sente sinueuse et étroite des arbres de chaque côté, il n'en faut pas plus pour avoir à nouveau l'illusion d'avancer. Quel pied cela aurait pu être dans un autre état de fraîcheur ! C'est vraiment ce type de secteur qui manque à notre région. Peu importe le niveau, peu importe la vitesse, on y prend du plaisir.

C'est donc légèrement revigoré que j'aborde la dernière partie caractéristique du parcours. Nous voici pour de bon revenus sur les hauteurs du vignoble. Le site d'arrivé est déjà en vue, pourtant il reste encore quelques kilomètres et côtes à assumer. Un dernier combat psychologique afin de passer au mieux ces difficultés, à nouveau cette terre collante si caractéristique, des faux-plats, des descentes raides et toujours cette arrivée qui nous nargue... L'orgueil se mêle lui aussi au final, me poussant à ne plus accepter de me faire dépasser. A l'amorce de la vertigineuse descente finale, je prends même en point de mire plusieurs victimes potentielles avec pour objectif simple de franchir la ligne avant elles. Contrat finalement rempli à 90% puisque les crampes me rappelleront à quelques encablures de la ligne...

Persuadé d'avoir bouclé en plus de 4 heures, quelle n'est pas ma surprise de constater que le chrono final n'est pas si déprimant : 3h43 et une flatteuse 94e place. Il est clair que je ne suis finalement pas le seul à avoir souffert... En tout cas, ce n'est pas le cas pour Gus qui boucle l'affaire en moins de 3h15 et une superbe 28e place ! Mes respects.


Le reste des photos se trouve ici.

Debrief :

Même si la seconde partie de course fut la pire qu'il m'était donné de vivre jusque là, le parcours et ses organisateurs n'en sont en rien responsables, alors il me reste au final un excellent souvenir de cette course :

Les plus :
 - une organisation au top, une équipe survoltée à la bonne humeur contagieuse ;
 - un échauffement original (un Harlem shake en 2014 ?) ;
 - malgré 800 coureurs aucun bouchon à déplorer grâce à un départ large mais tout de même pas facile ;
 - de nombreux singles techniques et esthétiques ;
 - un balisage simplement parfait : aucune hésitation en 33 kilomètres ;
 - un parcours usant ;
 - le champagne à l'arrivée.

Les moins :
 - une douche encore plus froide que l'eau du ravito (le dernier combat psychologique de la journée) ;
 - quelques très longues lignes droites dans le bourbier.

Un énorme bravo aux organisateurs !

Quant à moi, il devient plus que temps de m'y mettre sérieusement...

2 commentaires:

  1. Bravo Nicolas pour ce beau reportage texte et photos! Merci de nous avoir fait partagé ce grand moment et nous te souhaitons une bonne récupération et que les douleurs disparaissent.

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    1. Tout le plaisir était pour moi (et les autres coureurs)... Merci !

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